vendredi 20 avril 2018

Grand ménage de printemps à Saint-Cyr !


« Le 20 avril, comme chaque année, depuis le début de la matinée, une activité débordante régna dans les étages. Il s'agissait de retirer des lits et des fenêtres les garnitures d'hiver. Toutes les classes se mirent à l'ouvrage. Ce qui aurait pu être une corvée se transforma en un jeu, car il était fort plaisant de monter au sommet des échelles. Nous nous chamaillions même pour être celle qui irait jusqu'en haut afin de décrocher la lourde étoffe de velours ou de damas. Nous la laissions choir sur le sol en visant l'une de nos compagnes pour l'ensevelir sous le tissu. En bas, celles qui maintenaient l'échelle en profitaient pour tirer sur le jupon de celle qui grimpait. Ce remue-ménage donnait lieu à des plaisanteries et des rires que nos maîtresses toléraient. C'était comme un rite pour le changement de saison qui avait lieu deux fois par an : au solstice d'été et au solstice d'hiver.
Mme de Maintenon, Marguerite de Caylus et d'autres dames y participaient aussi.
Il était bon de rire après l'hiver rigoureux que nous avions passé dans notre maison mal chauffée et humide. […]
Nous remplacions donc les velours et les damas censés arrêter le froid extérieur par des voiles légers comme l'air et le soleil du printemps qui allaient bientôt purifier notre maison. Puis nous échangions nos bas de drap contre des bas de fil et nos gants de laine contre des mitaines. Nous rendions notre cape chaude afin qu'elle soit nettoyée pour l'hiver prochain.
Nous savourions cette journée où le règlement de notre maison était mis entre parenthèses. Dès le lendemain, la règle du silence et du recueillement reprendrait ses droits. Mais comme nous avancions vers les beaux jours, nous étions toutes de bonne humeur. »

Gertrude et le Nouveau Monde, p. 159-160